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Jacques BELLEZIT

Enfant du siècle, écrivain, rêveur, juriste, passionné.....

De “la fête au village” et des interrogations d'ordre public qu'elle suscite (Partie 1/2)

De “la fête au village” et des interrogations d'ordre public qu'elle suscite (Partie 1/2)

De “la fête au village” et des interrogations d'ordre public qu'elle suscite.

Sortie en juin 1989, et tête de gondole de l'album éponyme paru chez AB Disques, la chanson « La Fête au village” »est une chanson typique de l'esprit des Musclés, groupe-pilier iconique du Club Dorothée durant ses dix années d'existence (1987-1997).
Composé de Bernard MINET, Rémy SARRAZIN, Eric BOUAD, René MORIZUR et Claude CHAMBOISSIER (plus connu sous le pseudonyme de “Framboisier”), le groupe marqua les « Années Dorothée »1  et la mémoire collective par sa bonne humeur quoique teinté d'un esprit gentillement égrillard rappelant les chansons de Carlos (« Le Tirelipimpom » ; « Papayou »), qui fut parrain de l'émission.


Cependant si l'on peut sourire de ces joyeux lurons franchouillards qui participèrent au coté de l’animatrice vedette à la popularisation des mangas en France2, force est de constater que cette chanson n'est pas qu'une amusante chanson divertissante. Elle peut aussi, aux yeux de l’ « obsédé textuel »3 qu’est le juriste, soulever des questions de droit public en matière de police municipale (I) et de discipline des professions réglementées (II).


 

I) « La fête au village » ou les hétérodoxes solutions de quelques questions de police municipale


Si l’usage de la police municipale a été utilisé par un grand écrivain comme ressort pour sauver, un temps, une de ses plus tragiques héroïnes4 il y a lieu de rappeler que cette police a pour rôle premier «  d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques »5.
A cette triade bien connue de l’ordre public, le Conseil d’État a ajouté de façon prétorienne le respect dû à la dignité humaine par sa décision Commune de Morsang-sur-Orge6.

 

Ces rappels étant faits, relevons que dans notre village festif (qui ne sera jamais nommé), le maire « par arrêté municipal […] a ouvert le bal ».


Cet arrêté s’inscrit dans la liste des situations envisagées par l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales comme relevant de la police municipale : en effet au titre de l’alinéa 3 de cet article, le maire est chargé du “ maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques [...] ».
Un esprit bougon pourrait discuter cette qualification et voir dans cette « fête au village », l’expression d’un « tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, [d’un] attroupemen[t], [de] troubles de voisinage [ou de] rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants » au sens de l’alinéa 4 de cet article.

 

Cependant les Musclés nous apprennent que « tout le monde s'est mis à danser » y compris « les vieilles chouettes » et « les bigotes » qui pour les unes « se trémoussent avec courage » et les autres « ont oublié d’être sages ». Cela laisse à penser que les quelques acariâtres personnages de ce village cessent de l’être le temps d’un soir et que, tout le village étant au bal, il n’y aura personne qui verra son repos troublé, quand bien même les villageois, jeunes et vieux sont ici « pour chahuter » et « pour faire les fous ».


Tableau iconique d’une France populaire, la « fête au village » s’accompagne alors sans surprise des « des airs bien de chez nous [..] au son de l'accordéou ». On sent poindre la chanson à boire et partant, la consommation d’alcool. Cela est confirmé par les villageois « buvant ensemble des petits coups! ».

Cette propension à retrouver des allusions à l’alcool comme élément indissociable de la fête, qui se retrouve dans d’autres chansons des Musclés7 d’artistes contemporains8 ou de la musique festive peut étonner les esprits actuels habitués à une Loi Evin qui, à l’époque, allait être portée sur les fonds baptismaux du législateur9

Mais la police administrative spéciale du maire en n’a pas attendu la Loi Evin pour exister : Suite à la débâcle du Second Empire et les événements sanglants de la Commune, la France cherche un responsable et la consommation d’alcool (2.5 L par habitant selon les chiffres repris par Sévérine WEISS)10 fait figure de coupable idéal aux yeux des hygiénistes, entraînant une véritable «propagande anti-alcoolique »11 ainsi que la loi du 23 janvier 1873 tendant à réprimer l’ivresse publique et à combattre les progrès de l’alcoolisme dite « loi ROUSSEL», premier jalon de la lutte contre l’alcoolisme12


Ainsi depuis cette Troisième République naissant sur la « gueule de bois » de la défaite de Sedan, le maire, premier personnage de la commune est un acteur de premier plan dans la police des débits de boissons.
A titre d’exemple, l’article L48 de l’ancien Code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme, alors applicable13, soumet t-il « les individus qui, à l'occasion d'une foire, d'une vente ou d'une fête publique, établissent des cafés ou débits de boissons [ …] [à] l'autorisation de l'autorité municipale ».
Il existait également un droit de licence sur les boissons perçu au profit des communes anciennement codifié aux articles 162 et 1568 du Code général des impôts mais celui-ci fut supprimé en 200214.

Dans notre village festif, on remarque que le Maire se contente d’ouvrir le bal sans en préciser les modalités et les limites. Tout au plus apprenons nous que la fête commence « quand la nuit est tombée » et se prolonge tard le soir : en effet, “Minuit était passé. On continuait à danser”.

 

Or il est de jurisprudence constante que si l’exercice de pouvoirs de police ne peut être générale et absolue mais doit être adaptée, nécessaire et proportionné au vu des circonstances locales15 sous peine de censure par le juge, la carence du maire à prendre des mesures de police est punissable : Ainsi un maire a t-il commis une faute de service en n’exerçant pas ses pouvoirs de police pour contraindre un bowling à effectuer des travaux d’isolation phonique, troublant alors la tranquillité des riverains16. Une solution semblable a été rendue concernant un parc d’attraction17 ou pour une salle des fêtes bruyante18.

En l’espèce, il y a lieu de penser que le maire de notre village risquerait de voir sa responsabilité engagée. Au vu de la petite taille du village où tout le monde semble se connaître, il y a lieu de penser que la police n’y est pas étatisée au sens de l’article L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales, entraînant la responsabilité de l’État en matière de police.

 

Dans le cas contraire, l’analyse nous aurait contraint à nous interroger sur le fait de savoir si

une fête comme celle de notre village relève des «  grands rassemblements d'hommes » occasionnels au sens de l’article L. 2214-4 alinéa 2 du code général des collectivités territoriales ou des « réjouissances et cérémonies publiques » telles qu’envisagées à l’alinéa 3 du même article.

Cependant, il faut avouer que la chanson, prévue avant tout pour faire la fête, nous laisse peu d’éléments pour trancher cette question.

 

La chanson se voulant incarner l’esprit franchouillard et populaire des Musclés, montre aussi la popularité de la figure du Maire, qui demeure la personnalité politique la plus populaire car la plus proche du quotidien de ses administrés. tendance qui persiste toujours même près de trente ans après la sortie du titre malgré la montée des violences envers les élus locaux 19
Ce caractère populaire exclut donc toute allusion à toute forme d’autorité supérieure au maire au sein de la communauté villageoise : partant, il n’est pas ici question d’intervention du Préfet dans le cadre du contrôle de légalité. Pourtant, a la sortie de la chanson (1989), ce contrôle existait déjà, ayant remplacé la tutelle administrative20


Une dernière preuve de la place centrale du maire réside dans l’usage d’une anadiplose autour de sa figure : en effet la chanson débute par « Msieur l’Maire a décidé qu’il fallait s’amuser » pour se clore sur “Ça nous a tellement plu Que m'sieur le maire sera réélu !”.

Sans doute le même esprit bougon verra t-il dans cette fête au mieux un évergétisme, au pire l’existence de « dons ou libéralités en argent ou en nature  faits en vue d'influencer le vote » faits que l'article L106 du code électoral punit « de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros » 21 mais le petit village est à mille lieues d’être Corbeil-Essonne, ville ayant défrayé la chronique après les malversations dont sa mairie à été l'objet.22

Cependant, si le maire de ce petit village festif semble en tout point honnête, d’autres notables, membres de professions réglementées pourraient encourir des sanctions disciplinaires.

Partie 2

1Jacques Pessis, Les Années Dorothée, Trélissac, Éditions Chronique, octobre 2007, 144 p. (ISBN 978-2-205-05934-2)

3Ainsi le qualifiait Mario BETTATI, théoricien du droit d’ingérence, pour expliquer ses divergences avec Bernard KOUCHNER, au micro de France Culture ( Antoine Lachand, Alisonne Sinard et Pierre Ropert 28 mars 2017 “Mario Bettati, théoricien du "droit d'ingérence", est mort”); Voir également l’hommage qui lui est rendu dans le numéro Droits fondamentaux, n° 15, janvier 2017 – décembre 2017

4Victor HUGO, “Les Misérables” (Tome I, Livre 5, Chapitre XIII)

5Article L 2221-2 du Code général des collectivités territoriales

6Conseil d’Etat 27 octobre 1995 - Commune de Morsang-sur-Orge - Rec. Lebon p. 372 Décision n° 136727

7Voir “La Merguez Partie”

8On pense à “Licence IV” et son “Viens boire un petit coup à la maison” ou aux chansons de Patrick Sébastien.

9Loi relative à la lutte contre le tabagisme et à la lutte contre l'alcoolisme (n° 91-32 du 10 janvier 1991), parue au JO n° 10 du 12 janvier 1991

 

10De l'intempérance populaire à  la "sueur d'alcool": Le delirium tremens dans L'Assommoir de Zola par Séverine Weiss Ecole Normale Supérieure - DEA de Lettres Modernes 2000

11Lefebvre Thierry. La propagande antialcoolique en milieu scolaire au début du XXe siècle. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 84ᵉ année, n°309, 1996. pp. 143-150.

12Voir ce qu’en rappelle brièvement Thierry EDOUARD « Contribution à la clarification du régime juridique de la responsabilité de l’Etat résultant d’un placement en cellule de dégrisement  », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 17 novembre 2014, consulté le 05 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/revdh/970 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.970

13Le Code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme a été intégré au Code de la Santé publique suite à la réforme introduite par l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie Législative du code de la santé publique. Son article L48 est aujourd’hui devenu l’article L3334-2 du Code de la santé publique,

 

14Loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 de Finances pour 2003, article 27

 

15Voir entre autres les arrêts topiques en la matière

Conseil d'Etat, du 19 mai 1933, 17413 17520, publié au recueil Lebon “Benjamin”

Conseil d'Etat, Section, du 18 décembre 1959, 36385 36428, publié au recueil Lebon “Société des Films Lutetia”  

Conseil d’Etat, Assemblée, 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image et autres, requête numéro 317827

16Cour administrative d’appel de Nantes - 2e chambre - n° 01NT00087

17CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 17/07/2020, 18MA03484, Inédit au recueil Lebon

 

18CAA de NANCY, 4ème chambre - formation à 3, 09/04/2019, 17NC02138, Inédit au recueil Lebon

 

19Voir le sondage réalisé en 2019 “La Voix des Territoires – vague 1 :Le maire, ce politique pas comme les autres” - ODOXA-CGI créditant la figure du maire de 63% d’opinions favorables.
 

20Voir notemment l’article 34 de la Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions

 

21Article L. 106 du code électoral : « Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l'entremise d'un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d'entre eux à s'abstenir, sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros.

Seront punis des mêmes peines ceux qui auront agréé ou sollicité les mêmes dons, libéralités ou promesses. »

 

 

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